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Troisième info-lettre : deuxième mois sur les routes !

Dernière mise à jour : 30 juin 2023


(Pour voir notre entretien de vingt minutes sur la chaîne youtube Permacap, c'est ici : https://www.youtube.com/watch?v=CptlTxEaZKo )



Bal folk sous les halles de Gouarec


Les semaines ont passé, si vite. Beaucoup de gens qui nous croisent nous parlent d’un air entendu : « un bel éloge de la lenteur ! » Tu parles ! Cela y ressemble à première vue, bien sûr. Mais changer de lieu toutes les quarante-huit heures, s’y rendre disponible à la rencontre, en même temps qu’à la création artistique et à des représentations publiques… Quand bien même nous ne nous déplaçons jamais qu’à 5 kilomètres à l’heure… « Doucement, nous sommes pressés », disait notre ami Jean-Michel en citant Julos Beaucarne.


Une nouvelle recrue et un récital délicat :

Blandine nous a rejoints le 10 mai pour passer un mois avec nous. Elle s’intéresse particulièrement à ce que l’on peut vivre auprès des gens du quart-monde, ce peuple hirsute et bosselé dont les membres sont discrètement disséminés sur la terre. Elle nous a parlé souvent du Sappel, association fidèle à la spiritualité du père Wresinsky, le fondateur d’ATD Quart Monde. Elle connaît maint poèmes, Apollinaire, Aragon, Baudelaire, qu’elle dit volontiers – des chansons d’Anne Sylvestre, de Barbara, des Ogres, qu’elle chante au ukulélé. Durant les temps de marche, quand Obélix se tenait tranquille, elle dévora rapidement les livres qu’elle a pu trouver dans notre roulotte (Henri Vincenot, André Dhôtel, Giono et aussi Gustave Thibon…). Autant dire que nous nous sommes facilement apprivoisés.


Benoît fut amené à s’absenter plusieurs fois, ce qui fut l’occasion de bâtir un récital de chansons et textes, suivi d’un bal folk, dans ce nouveau trio plus féminin. Sur la place de Mellionnec pour l’inauguration du nouveau bourg, sous les halles de Gouarec, ou devant le très joli étang de Rohan, nous avons chanté. Nos trois voix, sans amplification, formaient un ensemble franc et frêle. Des chansons, des textes, des danses. Ce que nous proposions ainsi aux habitants de ces petites villes était délicat parce qu’entièrement dépendant de leur attention.

Voilà qui va à l’encontre de ce qui se fait le plus souvent : s’armer de canons à décibels pour être entendu coûte que coûte, fût-ce sans le consentement de l’auditeur ; avoir l’impression qu’un concert n’a pas vraiment lieu s’il n’est relayé par des machines, que ce n’est pas professionnel, pas pour de vrai. Ici, nous avons fait en plein air quelque chose de très petit : une quinzaine, parfois une petite trentaine de gens qui nous écoutent ou dansent sur notre musique… Un tout petit comité, certes. Mais pas de l’entre-soi. Nous nous sommes à chaque fois réjouis du brassage de nos évènements : vieux, adultes, adolescents enfants, agriculteurs classiques et touristes urbains, paroissiens parcheminés et néo-ruraux, droitards, gauchistes et même je-m’en-foutistes… étaient réunis pour écouter et danser ensemble.

Nous déclamons l’Ôde à chacun de Henri Pichette, où chaque alexandrin vient rendre gloire à un métier dans une foisonnante symphonie, puis chantons dans la foulée Les mains d’or de Bernard Lavilliers, le lamento d’un ouvrier au chômage :

J’peux plus exister moi

J’peux plus habiter là

Je sers plus à rien moi

Y a plus rien à faire

Quand je fais plus rien moi

Je coûte moins cher

Que quand j’travaillais, moi

D’après les experts…

J’voudrais travailler encore… Forger l’acier rouge avec mes mains d’or.


Les gens du coin ont été surpris, touchés, de nous entendre chanter, malgré nos airs gentiment bohémiens et chevelus, la dignité du travail...




La générosité de nos frères et sœurs.


Nous avons été éblouis encore par la générosité si grande à notre endroit, et notamment venue de nos frères chrétiens. À Mellionec, Louis et Marie-Hélène, chez qui Benoît tourne un bol en bois, qui nous ouvrent leurs portes tout un week-end, en nous peignant ce Liban si cher à leur cœur où ils se sont rencontrés. À Gouarec, Marie-Agnès qui s’occupe d’une mission d’annonce du Christ aux musulmans, nous reçoit plusieurs jours chez elle. À Noyal-Pontivy, ce sont Philippe-André, Thérèse, Yohan, Étienne, qui nous offrent très fraternellement les produits de leur belle ferme Lys ar parkou (lys des champs en breton : « Voyez les lys des champs : ils ne travaillent ni ne filent, cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux… »)

Et puis autour de Josselin, à la Trinité, il y a Jean-Michel, cet artisan discret du Bon Dieu, très habile de ses mains avec lesquelles il a réalisé maintes statues en bois, et des autels : il parle avec une simplicité d’enfant, et nous donne très généreusement de son temps. Gilbert, aussi, un type étonnant, qui la moitié du temps rend grâce à voix haute et prie, à voix haute… Il est venu nous chercher dans son mini-bus neuf places, et au volant nous raconte qu’enfant, il était autiste, tout à fait bloqué dans une solitude sans parole, maladie due selon lui à cet avortement chimique voulu par sa mère et dont il réchappa miraculeusement. Le jour de sa confirmation, à l’âge de douze ans, son intelligence et sa sensibilité se trouvent subitement débloquées ! Un second miracle. Après vingt années dans un monastère, voilà qu’il s’est marié avec Frédérique avec qui il a eu cinq filles. Bien qu’ils n’aient pas le sou, ils nous invitent à une tablée merveilleuse. « Tu sais, me dit-il au volant du mini-bus, nous ne sommes pas du tout faits pour nous débattre avec notre vieil homme, pour régler nous-mêmes nos failles et nos problèmes avec notre psychologie tordue, et nos petites solutions concoctées par nous-mêmes. Nous avons notre Père du Ciel, nous avons Jésus Christ, nous avons Marie qui est notre mère et tous les saints qui ne demandent qu’une seule chose : qu’on leur demande leur aide. »

Il faudrait aussi parler de ces couples un peu plus jeunes, à Ploërmel. L’une nous offre un matelas pour la petite… Son mari, mécanicien fort occupé, prend plusieurs heures pour réparer les lames de suspension de la roulotte ; je lui demande combien je lui dois : « quelques dizaines de chapelet, ça fera l’affaire ! » ; Ève reçoit, gratis et amore Dei, une séance de médecin généraliste pour se faire – enfin – déboucher les oreilles ; Benoît, souffrant du dos, une séance d’ostéopathie. Nous avons nommé entre nous cette ville la ville des fées.

« Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » dit l’apôtre Paul.

Ce sont des gens qui nous invitent, nous soignent aussi généreusement et spontanément qu’ils témoignent généreusement et spontanément de leur foi en la bonté de Dieu. Nous vivons là une unité, une grande cohérence, lorsque les mots et les actes forment harmonieusement le monde que l’on respire. On se croirait alors un peu dans le livre de Tobie ; cette aventure où chacun est parfaitement généreux : aussi bien le vieux Tobit, aveugle aux yeux maculés de fiente qui n’hésite pas à risquer sa vie pour ensevelir ses frères à Ninive, le jeune Tobie, le bon Azarias qui n’est autre que l’ange Raphaël, Sarra tourmentée par un terrible démon, Ragouël… et même le chien qui suit Tobie et l’ange. Tout y est surabondance de grâce ; tout y chante la confiance et la bénédiction.

De Rohan à Josselin, une belle équipée.


Je me permets (Rémi) d’ouvrir une petite fenêtre sur trois jours que nous avons passés. Benoît nous avait retrouvés à Rohan, en plein concert au bord de l’eau ; comme il nous rejoignait en autostop depuis les Pyrénées, de retour d’un mariage, son heure d’arrivée n’était pas sûre, mais il put arriver pile à la transition entre le récital et le bal folk, l’accordéon en bandoulière. C’était très joli, un coup de théâtre bien flambant, au bord de l’étang suave. Une amie est venue avec lui, enceinte de six mois, qui traverse des épreuves difficiles, et qui nous dira plus tard combien cette marche avec nous lui a donné, en des épreuves bien salées, un peu de fraîcheur.

Entre Rohan et Josselin, une halte très brève – une heure, sans même dételer Symphonie – à l’abbaye de Timadeuc. Le frère bénédictin nous offre les excellents fromages au goût de noix qu’ils font ici, et nous apprend qu’au lendemain de la Révolution, une flopée de trappistes et de moniales, avec les orphelins dont ils avaient la charge, ont traversé l’Europe dans des roulottes, jusqu’en Russie…

Le lendemain, nous arrivons à Josselin. Cette ville magnifique où un château des Rohan plante ses pieds dans l’Oust – et nous planterons, quant à nous, roulotte, chevaux et tente aux pieds du majestueux château. Ce nous sera, à cinq adultes et deux chiens, une très belle halte ; l’impression de participer à une grande et simple aventure, éternelle et très simple, comme il en est dans les livres d’André Dhôtel par exemple. Le printemps pleuvait d’un bleu étincelant et presque enfantin. Nous avons joué notre musique devant la porte de la grande église, sur le marché – moult gens passaient – ça a fini avec ces deux frères, électriciens dans le civil, vêtus en ce samedi d’une façon drôlesse presque Renaissance, avec leurs flûtes improbables et si sonores, qui semblaient porter un regard ahuri, tendre et goguenard sur toutes choses de ce monde… On voit passer une famille, aussi, pour un baptême, et un peu plus tard, toute une assemblée à l’issue d’un mariage ; nous avons joué quelques danses alors pour ce moment où les mariés sont attendus avec des grains de riz sur le parvis, et avons pu même leur lancer, en passant, la bénédiction spéciale du saltimbanque. Voilà une façon de prendre place, comme musicien ; l’épithalame, ce mot que Verlaine, après sa conversion, fait souvent rimer à l’âme… l’épithalame, le poème qu’on composait jadis en hommage aux mariés. N’est-ce pas le plus simple sommet pour les petits histrions, anachorètes-chanteurs que nous sommes : chanter les unions de la terre sur toutes les tonalités, pour dire que l’amour est bon ?!

Il y a une belle librairie d’occasion. J’y retrouve Ève. Gilles, le maître des lieux, a offert à notre petite fille un livre sur les hamsters. Ève est confortablement installée dans le canapé ; il lui fait entendre un disque prodigieux : Regain de Giono, lu par Henri Tisot, avec un allant méridional et chantant comme on n’en fait plus. Je veux acheter à Gilles un numéro de la revue Éléments que je vois traîner à l’étage : « Ah, ça, ce n’est pas à vendre. C’est ma collection personnelle. Vous connaissez la revue Éléments ? Je peux vous donner ce numéro. » Intrigué de rencontrer des troubadours chrétiens, il m’explique qu’il a quitté Marseille pour Paris dès qu’il a eu vent des débuts de la Nouvelle Droite, au début des années quatre-vingt. Il voyait dans l’initiative intellectuelle d’Alain de Benoist, de Dominique Venner, et de leur clique, un formidable renouveau de la pensée de la droite traditionnelle qui pourrait venir combattre le mondialisme si dévastateur. « Mais rapidement, alors qu’ils avaient une belle fenêtre de tir dans le Figaro, ils ont subi une campagne de diffamation, ils ont été salis, fascisés. » Il fut en outre bien déçu que le mouvement, bien charpenté intellectuellement, n’en vienne jamais à saisir les moyens de la force et de l’action politique – notamment à l’édification de l’affreux parc Disney sur les bonnes terres de Seine-et-Marne… Il nous parle plusieurs fois de la France qu’il ne reconnaît plus du tout.

Il me montre des photos de sa jeunesse ; « quand j’étais beau, dit-il en souriant à moitié. Aujourd’hui les gens ne me croient pas que c’est moi, là. » Des photos en noir et blanc où l’on voit une bande de jeunes élégamment habillés, avec un air de défi et d’insouciance : cela sent les Trente Glorieuses. Je voudrais lui dire, pour la question de la beauté, qu’avec l’âge il semble que ce sont les yeux qui deviennent de plus en plus beaux, le bleu y donne sa liqueur plus douce, plus profonde, plus aimante, que lorsqu’on n’a simplement sa belle gueule de l’adolescence… Blandine et Benoît nous rejoignent, je chante un poème d’Aragon, puis un autre de Péguy (« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle… ») sur quelques accords impromptus de la guitare de Gilles. Il met un disque de Brel avant que l’on ne se quitte : Quand on n’a que l’amour que nous chantons tous, bien fort, avec l’orchestre ; le libraire semble ému, l’œil tout brillant. On termine en écoutant Seul du même Brel.



Nous allons jouer à la terrasse de Gaston & Patterson ; café plein de fantaisies et ami des ânes, il y a dans les toilettes des poèmes de Francis Jammes ; la route passe entre les tables et les voitures nous coupent souvent au beau milieu d’un couplet – mais nous continuons notre petit office de saltimbanques.

Le soir, nous dînons chez un prêtre d’ici… Nous évoquons encore les prophéties de Marie-Julie Jahenny, celles-là sur les derniers temps, sur le dernier monarque et le dernier pape ; dont je n'avais jamais entendu parler avant d'arriver en Bretagne mais qu'ici l'on considère avec grand sérieux.




Et maintenant...


Les jours sont de plus en plus chauds. Après Josselin, voici Ploërmel, Malestroit, Allaire. La touffeur, la chaleur, la lassitude parfois. Une halte très bénéfique au Monastère de la Divine Présence, des frères orthodoxes celtiques – petite église autocéphale, à la liturgie merveilleuse, qui attire facilement les artistes, les marginaux, les gens du voyage. Et puis nous arrivons au village Saint-Joseph, à Pontchâteau, pour une semaine – nous parlerons mieux de cet endroit à la prochaine missive. Blandine nous laisse là, comme c'était prévu, après un superbe dernier concert en quatuor à Rochefort-en-Terre – la vie de roulottier, nous le sentons bien, doit être faite de beaucoup de déchirements et de séparations. Ève pour qui commence le troisième trimestre de grossesse accuse de grosses fatigues. Benoît est occupé sur un chantier. Et il fait si chaud dans ce Morbihan ! Nous nous sentons un peu perdus. Arrivés au sud de la Bretagne, nous voici au bout du premier élan qui nous avait propulsé le 16 avril. Comment tout cela va-t-il continuer ? Tout cela va-t-il continuer... ?



Suite au prochain épisode ! Bravo si vous avez lu jusqu'ici.




Compte-rendu de nos représentations et concerts de ce mois :

Samedi 13 mai : Récital de chants et bal folk à Mellionec

Mardi 16 mai : Récital de chants et bal folk aux halles de Gouarec

Lundi 22 mai : Animation musicale du marché de Pontivy

Mercredi 24 mai : Récital de chants et bal folk à Rohan

Samedi 27 mai : Chants au marché de Josselin, puis Récital où l’on n’arrive jamais au café Gaston & Patterson

Lundi 29 mai : Louis-Marie, le vagabond de Dieu à la chapelle Saint-Isidore de Bréhan

Mercredi 31 mai : Louis-Marie, le vagabond de Dieu à l’église Saint-Armel de Ploërmel

Samedi 3 juin : Récital où l’on n’arrive jamais au pub Canard à trois pattes de Malestroit

Mardi 6 juin : Récital où l’on n’arrive jamais à Allaire

Vendredi 9 juin : Récital où l’on n’arrive jamais au Café de la Pente, Rochefort-en-Terre





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2 Comments


Léa Rychen
Léa Rychen
Jul 08, 2023

Un grand bravo, Ève et Rémi, et Elisabeth, et vos compagnons de route ! Que Dieu vous conduise dans chaque escale, et qu'il vous garde de sa main protectrice !!!

Avec toute mon affection.

PS : félicitations pour le bébé à venir 🤍

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cballereau
Jul 02, 2023

Heureuse de voir que votre périple se passe bien dans l'ensemble, et félicitations pour le nouveau bébé !


Cependant, il me semblait important de corriger un détail mentionné dans cet article qui touche à de la désinformation sur un sujet important et mal compris qui me tient à coeur : les troubles du spectre de l'autisme (TSA).


Vous dites que "[Jean-Michel] nous raconte qu’enfant, il était autiste, tout à fait bloqué dans une solitude sans parole, maladie due selon lui à cet avortement chimique voulu par sa mère et dont il réchappa miraculeusement. Le jour de sa confirmation, à l’âge de douze ans, son intelligence et sa sensibilité se trouvent subitement débloquées ! Un second miracle."


Tout d'abord le TSA…


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