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Samuel Lewis - paysan, philosophe & artiste


Lien vers son site internet : http://hoe-farming.com/



Histoire d’une rencontre avec un homme de la terre en Kreiz-Breizh


Le long d’une petite route, au sud de Callac habite Samuel Lewis – connu dans le pays sous le simple nom de Sam.

Roux et sec, une barbe prononcée, la moustache seule est rasée ; même s’il est arrivé à l’âge de sept ans par ici, où ses parents se sont installés en 1994, il a gardé, la trentaine passée, avec sa voix râpeuse un fort accent gallois.

Il nous reçoit le soir, autour d’un bon feu, dehors. Puisqu’il n’y a plus de châtaignes, ce sont des oignons qu’on y fait griller – qui prennent ce rôle à merveille. Gareth, le père de Samuel est avec nous devant ce feu : veuf depuis une poignée d’années, il a l’œil clair et doux ; il est lent dans ses gestes et dans sa parole. Il s’était formé en Angleterre comme neurobiologiste, mais a préféré après ses études cette vie sobre et paysanne. « Nous sommes venus en Bretagne parce qu’au Royaume Uni l’accès à la terre est tout à fait impossible. Les prix sont trop hauts, on n’y est jamais loin d’une ville ; et quelques familles se sont appropriées la majorité des terres. »


La petite famille composée de Gareth et de deux de ses enfants, Sam et l’une de ses sœurs, est installée ici sur 3,5 hectares, de quoi assurer leur autonomie en matière de céréales et donc de pain, leurs légumes, leur cidre...

Devant ce feu, nous continuons d’apprécier son cidre, et jouons un peu de musique – nous, nos airs de bal ; lui une chanson gaëlique qu’il accompagne aux percussions de son bodràn.


Le remembrement d’un bocage


Le lendemain, il nous fait visiter ses terres. Les cultures sont disposées sur ce qui était initialement un champ d’1,5 ha entièrement ouvert, sans talus ni haie, qui servait à de l’agriculture conventionnelle. Leurs voisins, voyant le soin que Sam et son père apportaient aux terres qu’ils possédaient déjà ont acceptés de les leur céder.

« La terre appartient à ceux qui la travaillent et en prennent soin ! »


Patiemment, ses parents, puis lui-même, en ont fait cette oasis bocagée, humide et feuillue ; ce sont quelques 500 arbres fruitiers qui ont été plantés dans ce jardin envoûtant, fait de toutes petites parcelles que séparent des talus boisés constitués dans un premier temps d’après les anciens cadastres. « Le bocage n’est pas constitué de champs entourés de talus, précise-t-il ; c’est une forêt, avec des clairières ; et l’on cultive dans les clairières. »

Les parcelles semblent minuscules, même lorsqu’on est habitué aux petites exploitations. C’est qu’ils ont cherché la bonne taille d’un point de vue empirique, telle qu’il soit agréable psychologiquement d’y travailler à la main sans s’y sentir noyé. Ce nouveau dimensionnement donne des parcelles encore plus petites que celles de l’ancien cadastre adapté au labour par un cheval de trait. « La bonne dimension d’une parcelle, c’est quand on peut faucher à la main en une après-midi, avec mon père soit environ 700 m2; tout simplement ; et quand c’est achevé, on boit un coup. C’est agréable de boire un coup, enfin seulement si on a travaillé avant. Aujourd’hui, on prend des outils bruyants et efficaces, comme si on voulait pouvoir boire un coup le plus vite possible. Mais ce n’est pas de boire un coup qui est bon, c’est de le faire après un travail joliment pratiqué. Si l’on utilise une débroussailleuse, c’est que l’on souhaite que le travail soit le plus efficace possible, mais il devient en même temps bruyant et pénible. »


Chacune des 20 parcelles possède son microclimat du fait de la diversité des essences qui composent les talus, de l’exposition, de la nature des sols etc. L’expérience a ainsi montré que certaines cultures sont adaptées à une parcelle mais pas à la voisine. Le parfait équilibre à trouver est de ce fait l’affaire de plusieurs décennies.

2/3 des parcelles sont laissées en herbe puis fauchées pour obtenir le paillage qui servira pour les 7 champs en culture. Les méfaits du labour bien trop en profondeur de l’agriculture conventionnelle sont encore visibles puisque on observe une différence conséquente de hauteur d’herbe par rapport à une terre qui aura été épargnée (environ 4 fois plus courtes). Là encore, le processus de régénération des sols demandera de longues années.

Mais heureusement, il en est aussi parmi les terres qu’ils ont récupérées, certaines qui ont été soignées avec amour et maîtrise comme celle où une ancienne voisine a cultivé, de longues durant son potager. Une fois les décombres retirés de ce terrain qui était devenue une friche squattée lorsque les Lewis l’ont récupéré, une terre riche, granuleuse et aérée à souhait est apparue pour le plus grand bonheur de ses nouveaux propriétaires !

« La texture de la terre est telle que les limaces n’y viennent pas, nul besoin d’anti-limaces ! ».


Si Sam a bien conscience qu’il recueillera le plein bénéfice de son travail dans ses vieux jours, il observe déjà qu’au fil des années, sa charge de travail s’amenuise peu à peu du fait d’une part de l’expérience et de la connaissance de sa terre qu’il acquiert et d’autre part, de l’adaptation sans cesse croissante de ses cultures de même que la qualité de son sol (il utilise par exemple des semences paysannes pour son seigle depuis une quinzaine d’années qu’il peut ressemer d’une année sur l’autre).

Une fois le bocage reformé et la terre régénérée, Sam estime qu’un demi-hectare est suffisant pour faire vivre une petite famille. Leur 3 hectares pourraient ainsi être travaillés par une dizaine de personnes !


Parmi les parcelles cultivées, 3 sont consacrées aux céréales : 2 pour le seigle et une pour le froment. Une seule de seigle serait suffisante pour couvrir les besoins de sa famille (3 adultes) en pain pour l’année mais il en cultive une deuxième plus par plaisir que réelle nécessité. Quant au froment, il s’agit d’une expérimentation de variétés anciennes en partenariat avec l’INRA. Il reconnaît la difficulté de cette culture mais en apprécie la dimension de défi !



Une méthode de culture rodée



La culture du seigle représente 7 demi-journées de travail à 2 par parcelle : 2 demi-journées en début d’automne pour travailler la terre à la houe, la ratisser puis semer, 1 demi-journée en mars pour le sarclage et l’élimination de la vesce (sorte de pois grimpant) puis 1 demi-journée en juillet lorsqu’est venu le temps de la moisson à la faucille. S’en suit la mise en botte sur 1 demi-journée supplémentaire puis le séchage dans le champ entre 2 jours et 2 semaines en fonction des conditions météorologiques. Restent 2 demi-journées pour le battage au fléau sur un drap au sol par dizaine de bottes ainsi que le tri pour enlever la paille et la balle à l’aide d’un tamis « tarrare », merveille de machine d’un autre temps principalement en bois.


Rien ne se perd, tout se transforme et la paille issue des céréales est ainsi utilisée en guise de chaume pour couvrir la toiture de la crèche construite par Sam et son père où sont entreposés les outils et le matériel agricole ou les toilettes sèches en colombage situées au milieu des cultures. La balle est ici dispersée par le vent mais l’on pourrait parfaitement lui imaginer une 2ème vie en l’utilisant en guise d’isolation de murs en ossature-bois comme cela est pratiqué notamment en la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto du Gwenves (Finistère sud), moyennant toutefois un dispositif efficace pour lutter contre les rongeurs qui en sont friands (grille anti-rongeur, chat…).


De la transmission du savoir


Lorsque, admiratifs devant un modèle aussi abouti, nous demandons à Sam d’où il tient toutes ces connaissances, il nous rétorque fièrement qu’il n’a nullement été à l’école. Ses parents ont en effet assuré son instruction élémentaire à domicile et c’est en échangeant avec les paysans de l’ancien temps sur leurs méthodes de culture avant l’avènement de l’agro-industrie qu’il s’est formé, quel trésor !


Sam est lui-même désireux de transmettre son savoir et il réserve dans cette optique une parcelle pour la formation sur laquelle il cultive avec des paysans en herbe pommes de terre, blé noir et autres. Il fait cela à titre bénévole car il maintient que l’instruction devrait être gratuite sans quoi les professeurs feraient cela de façon intéressée.


Sam ne se contente pas d’être paysan, il est sans cesse à la découverte d’autres savoirs faires et c’est ainsi qu’il s’est construit un tour à bois « à perche » fonctionnant grâce à la tension d’une perche dont l’extrémité est suspendue au-dessus du tour et actionnée par une pédale ce qui permet un mouvement de va et vient dans un sens puis dans l’autre. Il s’est ainsi tourné une quarantaine de bol. La finition est plus brute que celle que l’on pourrait obtenir avec un tour classique électrique mais quelle satisfaction d’être en mesure de fabriquer son propre outil de travail à la manière de nos ancêtres !

Il s’adonne également à la vannerie à ses heures perdues même si l’on pourrait avoir du mal à imaginer qu’il puisse disposer de temps à tuer compte-tenu du foisonnement d’activités observables sur la ferme !!


La philosophie d’un paysan


Sam refuse catégoriquement de vendre les produits de sa terre ; le revenu économique de sa famille (indispensable à certains frais) vient d’une revue en langue anglaise qu’ils rédigent, éditent et distribuent à destination de tous les anglophones de Bretagne. Il refuse de vendre les produits de sa ferme ? « Ce qui pousse ici, ce que la terre donne, c’est un cadeau. Je ne vais tout de même pas échanger le présent que ma terre me fait contre de l’argent. Après, j’aurai de l’argent, mais que pourrais-je rendre à ma terre de cet argent ? »

Nous lui objectons l’idée que nous ne pouvons point être tous affectés aux mêmes tâches, et qu’il faut bien que les paysans puissent tirer de l’argent de leur ouvrage. Il développe : « Prenez la situation de préparer un repas. Si vous faites un repas pour deux ou trois personnes, vous n’allez prendre que les meilleurs ingrédients, et le faire avec grand amour. Maintenant, si vous faites un repas pour quarante personnes, vous allez chercher quel ingrédient vous pourriez remplacer, ou diluer, pour que le tout revienne un peu moins cher et soit plus rapide à préparer. Vous allez réduire la qualité et l’attention à ce que vous faites, c’est presque obligatoire en changeant d’échelle. Il me semble que cela vaut pour le travail de la terre. Lorsque je regarde ce que proposent sur les marchés les producteurs, même les « petits producteurs », j’ai l’impression que la qualité n’est pas aussi belle que s’ils le faisaient pour eux-mêmes. Je ne dis pas cela pour les juger, ayant de mon côté la possibilité de gagner un peu d’argent autrement qu’en vendant le produit de ma terre. »


« Beaucoup de producteurs finissent, à mon sens, par mépriser leurs clients, qui sont tellement dépendants d’eux. Bien sûr, ils ne l’avoueront jamais, ils diront qu’ils « adorent » leurs clients ! Mais une aigreur s’installe, car ce ne semble pas naturel que certains soient autant dépendants du travail d’autres gens. Ce que je fais est à la portée de tout le monde, il n’y a pas besoin d’avoir beaucoup d’hectares. Même à côté d’un autre travail chacun devrait pouvoir œuvrer lui-même à sa subsistance. Cela est d’ailleurs conforme à la dignité d’une personne »





Benoît parle à Sam des bénédictins – leur devise ora et labora, et leur rapport liturgique au travail. « Mon travail, c’est ma prière, dit alors Samuel. C’est ma façon à moi de prier. »

On s’émerveille devant la beauté de son potager, notamment des plessis qu’il a réalisés avec son père, sortes de barrières de branches de noisetier fendues et tressées qui ont pour vocation de retenir les chevreuils qui se faisaient un régal de ses cultures.

« Avant d’être paysan, je suis d’abord un artiste. Quand quelqu’un me suggère une solution à un problème que je rencontre, m’expliquant qu’avec tel matériau ou tel produit je m’en sortirai, je m’en désintéresse tout de suite si cela ne me semble pas beau. Pour que ce soit vrai, il faut que ce soit beau. » Benoît lui suggère qu’avec cette phrase c’est une vérité chrétienne qu’il touche. « Je ne suis pas catholique. Mais je sais qu’un jardinier, s’il veut que sa terre lui donne (je veux dire, sans y mettre rien d’artificiel) doit se mettre à l’écoute de Dieu. »





Lien vers son site internet : http://hoe-farming.com/

Article rédigé par Rémi & Benoît



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1 Comment


emusic 2you
emusic 2you
Jun 06, 2023

Chapeau, pour le fond et la forme !

Pm

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